Interview de Jacky Hortaut sur People-Bokay

Ecoutez Jacky Hortaut (co-animateur du Collectif de soutien à Mumia Abu Jamal) : « ce que l’on peut reprocher à Obama, c’est de ne pas avoir fait ce qu’il aurait dû faire : agir pour que la justice fédérale fasse son travail et que Mumia Abu Jamal obtienne un autre procès ».

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Mumia Abu Jamal : Barack Obama aurait-il pu intervenir pour la révision de son procès ?

Drôle de paradoxe. Le 18 septembre 1981, alors que l’Assemblée Nationale Française adopte le projet de loi abolissant définitivement la peine de Mort, de l’autre côté de l’Atlantique, au même moment, en Pennsylvanie aux États-Unis, la vie de Mumia Abu Jamal va basculer dans les couloirs de la Mort.

Les ennuis de Mumia, commencent le 9 décembre 1981. Une fusillade éclate dans les quartiers sud de Philadelphie, la plus grande ville de l’État de Pennsylvanie. Un policier est tué, Daniel Faulkner, et Mumia Abu Jamal est grièvement blessé. Malgré ses protestations, Mumia Abu Jamal est arrêté et jugé coupable de la mort de l’officier. La sentence est lourde, après un procès bâclé en quelques jours, il est condamné à la peine de mort.

Soutenu par ses amis et la communauté internationale, cette exécution est reportée 3 fois (1995-1999 et 2001), puis commuée en rétention à vie. Le jour de la première ordonnance d’exécution de Mumia, d’impressionnantes manifestations sont organisées dans le monde entier. A Paris, ce sont 10.000 personnes qui défilent dans les rues. L’occasion de lancer le Collectif français de soutien à Mumia Abu Jamal. 20 ans, un très long combat, moins long que celui du prisonnier Mumia, mais Jacky Hortaut est toujours au premier rang, fidèle défenseur de l’ancien journaliste, Mumia Abu Jamal, l’ancien porte-parole des Blacks Panthers à Philadelphie.

Dorothée Audibert-Champenois : Bonjour Jacky Hortaut, qui êtes-vous ?
Jacky Hortaut : Je suis un des animateurs du Collectif français de soutien à Mumia Abu Jamal. Ce collectif rassemble une centaine d’organisations et 25 municipalités françaises qui ont fait de Mumia leur Citoyen d’Honneur. Pour aider à la libération définitive de Mumia Abu Jamal, le Collectif français organise notamment depuis plus de 20 ans un rassemblement tous les premiers mercredis du mois sur la Place de la Concorde à Paris, à proximité de l’Ambassade des États-Unis.

Dorothée Audibert-Champenois : Quand on entend Mumia Abu Jamal, on prête une oreille bienveillante, Mais au fait qui est-il vraiment ! Faites-nous le portrait de Mumia avant cette fameuse année de 1981 ?

Jacky Hortaut : Mumia, lorsqu’il était adolescent, se faisait déjà remarquer. A l’âge de 16 ans, il était le porte-parole de la section de Philadelphie des Blacks Panthers. Philadelphie, c’est sa ville natale où il a toujours habité et où il fit ses études de journalisme. Il est devenu journaliste de radio à l’âge de 20 ans. Il a exercé son métier jusqu’à son arrestation en 1981. Mumia a été accusé d’avoir commis un homicide à l’encontre d’un policier, il a toujours crié son innocence. Hélas les juridictions américaines, tant en Pennsylvanie que celle relevant de la justice fédérale, ne lui ont jamais permis de défendre son innocence. Il a été condamné à mort en 1982 au terme d’un procès expéditif et raciste.

Dorothée Audibert-Champenois : Vous pourrez nous dire les dernières minutes du procès?
Jacky Hortaut : C’est un procès qui a été bouclé en quelques jours. Tout était à charge contre Mumia. Il a même été expulsé de son propre procès au motif qu’il avait refusé l’avocat commis d’office car il souhaitait se défendre lui-même. Son avocat n’eut ni le temps, ni les moyens de le défendre puisqu’il n’avait accès à aucun document et n’a pu mener aucune enquête. Mumia a eu un procès où seuls les témoins à charge ont été entendus.

Dorothée Audibert-Champenois : Quels ont été les manquements reprochés à ce dossier ?
Jacky Hortaut : C’est d’abord le comportement des autorités judiciaires auxquelles Mumia a eu à faire. En particulier le juge Sabo qui a conduit toute l’affaire jusqu’à sa condamnation à mort, lequel juge a eu des comportements racistes et non respectueux du droit. Selon les lois de Pennsylvanie et fédérale, il aurait dû être dessaisi du dossier. Sans preuve et sans la moindre réserve due à sa fonction, ce juge a tenu en permanence tenu des propos accusatoires à l’encontre de Mumia. De plus, il manipulait les témoins et les jurés.

Dorothée Audibert-Champenois : Que peut-on reprocher à Mumia ?
Jacky Hortaut : Peut-être était-il au mauvais endroit et au mauvais moment ! Seul un tribunal pourrait le dire. Mais depuis 34 ans on attend une révision du procès. Mumia n’a jamais pu défendre son innocence, ni témoigner sur ce qui s’était réellement passé le 9 décembre 1981. La question reste donc ouverte, dans la mesure où aucun procès en révision n’a été obtenu à ce jour. Durant 34 ans les différentes équipes de défense de Mumia ont multiplié les preuves et les arguments pour démonter la machination judiciaire qui avait conduit à sa condamnation. Toutes les grandes Institutions Internationales qui ont travaillé sur les minutes du procès de 1981, comme Amnesty International, la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU et le Parlement Européen, se sont prononcées pour une révision totale de ce procès.

Dorothée Audibert-Champenois : Qui, concrètement veut « faire frire » Mumia !
Jacky Hortaut : Ce sont les propos du juge Sabo qui a conduit toute l’instance judiciaire. Il a dit textuellement « je vais les aider à faire griller ce nègre ». Voilà le type de propos racistes rapportés par l’environnement du juge.

Dorothée Audibert-Champenois : Comment font les délégations, les associations, les comités de soutien pour l’approcher et le soutenir ?
Jacky Hortaut : Pour ce qui est des organisations américaines, elles font leur travail de mobilisation, de collecte de fonds pour poursuivre toutes les possibilités de défense de Mumia devant les juridictions américaines. Elles lui rendent régulièrement visite. Voilà ce qu’elles font depuis 35 ans. Ce combat, compte tenu de sa durée, se poursuit aujourd’hui avec les générations nouvelles, en particulier des jeunes étudiants américains, qui se sont intéressés à cette affaire. Ils sont de plus en plus nombreux à se préoccuper de la situation de Mumia et à agir pour sa libération. Le Collectif français fait le même travail en concertation avec les soutiens à Mumia aux Etats-Unis.

Dorothée Audibert-Champenois : Comment Mumia résiste-t-il à la lourdeur de sa condition carcérale ?
Jacky Hortaut : On peut dire que c’est un être exceptionnel, en ce sens que malgré les 30 ans passés dans l’enfer du couloir de la mort (comme il le dit lui-même), il a été capable moralement, intellectuellement et psychologiquement de résister. La plupart des prisonniers condamnés à mort aux États-Unis sont dans l’incapacité d’être, comme lui, toujours debout après une aussi longue période d’incarcération. De ce fait, on le compare souvent à Mandela. Mumia a continué à travailler en prison. Il a écrit 6 livres dans sa cellule. Et c’est ça qui l’a aidé. La lecture et l’écriture l’ont sauvé du drame mental auquel il était exposé quotidiennement dans le couloir de la mort.

Dorothée Audibert-Champenois : Depuis 34 ans sa vie ne tient qu’à un fil ? Expliquez-nous le cordon sanitaire autour de lui !
Jacky Hortaut : Le premier cordon sanitaire, c’est sa famille qui fait vraiment corps avec lui. C’est un long et douloureux engagement familial qui n’a jamais connu d’interruption. C’est aussi ses amis personnels et les nombreuses associations de Philadelphie et de New York qui, dès 1981, ont créés des collectifs pour le soutenir et l’aider par tous moyens. D’abord en collectant l’argent nécessaire à la poursuite de sa défense judiciaire. Se défendre aux États-Unis, coûte en effet très cher. S’il n’y a pas de soutiens militants quand on est dans le couloir de la mort, surtout lorsqu’on est pauvre et noir, on n’a très peu de chance de ne pas être exécuté. Le deuxième cordon sanitaire, a été la solidarité internationale avec des organisations, des collectifs, des syndicats du monde entier, à l’exemple du collectif français, Depuis 1995, ils ont tissé des liens très étroits avec Mumia et ses soutiens. Des délégations se sont rendues régulièrement aux Etats-Unis. Beaucoup de personnalités françaises et d’élus ont rencontré Mumia en prison ces 20 dernières années.

Dorothée Audibert-Champenois : Des personnalités françaises dites-vous ?

Jacky Hortaut : Je pourrais vous en citer beaucoup mais je me limiterai à une seule qui fit preuve, jusqu’à sa mort, d’une grande fidélité à Mumia : c’est Danielle Mitterrand. A chaque fois qu’elle se déplaçait aux États-Unis, elle s’organisait pour être en contact avec Mumia, en lui rendant visite, en interpellant les autorités américaines. Jusqu’à son dernier souffle, elle se préoccupa de la situation de Mumia. « Comment va-t-il ?», nous demandait-elle, « quelles sont les initiatives nouvelles qu’on pourrait prendre pour le sortir de là ?». C’est incontestablement, l’une des personnalités françaises parmi les plus engagées et des plus fidèles.

Dorothée Audibert-Champenois : Quel est son quotidien ? Il lit, il étudie, il a le moral ?
Jacky Hortaut : Mumia, comme vous le savez a passé 30 ans dans le couloir de la mort. Il en est sorti grâce à la mobilisation internationale. N’ayant pas obtenu la révision de son procès, sa sentence a été commuée en prison à vie. Mumia, en Droit américain n’a plus aucun recours possible puisqu’il s’agit d’une décision de la Cour Suprême des États-Unis, c’est-à-dire la plus haute juridiction américaine. Si les choses restaient en l’état, Mumia serait condamné à mourir en prison car privé de tout recours en vue d’une possible libération conditionnelle. Depuis 4 ans, il est incarcéré dans une prison de « moyenne sécurité » où il y a plus de 2.500 prisonniers mais où il peut enfin avoir une certaine vie sociale. Hélas, la maladie est venue interrompre l’amélioration de ses conditions de vie carcérale. Atteint par le virus de l’hépatite C, l’année 2015 fut pour lui une année de très grandes souffrances du fait du manque de soins et de traitements appropriés.

Dorothée Audibert-Champenois : Comment a-t-il attrapé ce virus ?
Jacky Hortaut : Le diagnostic n’a été rendu public qu’au mois d’Août 2015. L’administration pénitentiaire lui avait en effet caché sa maladie pendant de nombreuses années. La contamination remonte sans doute à la transfusion de sang dont il avait bénéficié, alors gravement blessé, après son arrestation en 1981. Mais Mumia n’est pas un cas isolé. En Pennsylvanie, des milliers de prisonniers sont atteints de cette maladie et ne sont pas plus soignés.

Dorothée Audibert-Champenois : Pourquoi un procès quand on veut se soigner ? C’est la procédure en Amérique ?
Jacky Hortaut : Non ce n’est pas la procédure normale. L’État de Pennsylvanie doit légalement soigner tous les prisonniers. Quand on est prisonnier on ne perd pas ses droits à être soigné, à fortiori quand on est atteint d’une maladie grave. Dans le cas présent, l’État de Pennsylvanie a un comportement inhumain. Ce n’est pas nouveau pour ce qui concerne Mumia. C’est la raison pour laquelle son équipe de défense a saisi la justice et que de nouvelles mobilisations internationales sont en cours.

Dorothée Audibert-Champenois : Quels sont les actions prévues ? Et pense-t-on libérer Mumia Abu Jamal vu son âge ?
Jacky Hortaut : Le sortir du couloir de la mort a été une grande victoire. Mais nous estimons n’avoir fait que la moitié du chemin. C’est pourquoi la mobilisation se poursuit avec l’objectif qu’il puisse se soigner et qu’enfin il soit libéré. A cet effet, depuis plus de 20 ans, nous organisons un rassemblement à Paris le premier mercredi de chaque mois à proximité de l’ambassade des Etats-Unis. Autre mobilisation récente, 30.000 cartes-pétitions ont été adressées au gouverneur de Pennsylvanie pour que Mumia puisse bénéficier des traitements médicaux dont il a besoin.

Dorothée Audibert-Champenois : Peut-on espérer de la mansuétude chez Barack Obama, c’est sa dernière année à la présidence !
Jacky Hortaut : Le Président des États-Unis ne dispose pas du Droit de grâce sur le prisonnier Mumia Abu Jamal, en raison du fait qu’il a été condamné selon les lois de l’Etat de Pennsylvanie. Barack Obama, comme tout Président des États-Unis, ne peut constitutionnellement gracier que les condamnés relevant des décisions prononcées par la justice fédérale. Or seulement 5% des condamnés à mort sont dans ce cas. Par contre, Barack Obama dispose du pouvoir politique le plus élevé dans ce pays et il pourrait en user, notamment en faisant pression sur le Gouverneur de Pennsylvanie, précisément pour que celui-ci prononce cette grâce dont lui seul a le pouvoir.

 

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